The Seer - Le prophète

The Seer

Le sage & Askerna

Je me défilais d’une énième corne de houblon qu’on m’offrait à l’arrache. Boire ne m'aiderait pas à me remettre de mon dernier combat, le cœur au bord des lèvres, je laissais la coupe de liquide ambré aux mains de mon mari. En même temps, je l’avisais de mon départ. Le froid venait de s’emparer de ma chair, me faisant frissonner jusqu’aux os. La fatigue me tiraillait le corps et l’esprit, m’empêchant de participer à ces conversations qui fusaient ici et là. Tandis que de l’autre côté, Astrid se faisait faire la cour par des hommes, qui les uns, après les autres, se faisaient chasser par un frère impitoyable.

« Laisse-la un peu batifoler, elle ne fait rien de mal! »

Avais-je dit, me relevant en utilisant comme support l’épaule de mon époux, l’encourageant à rester sur son siège et à laisser sa cadette tranquille. Après tout, ce n’était pas parce que son dernier prétendant avait été une vraie charogne que tous les hommes étaient de cette espèce ? Tôt ou tard, Astrid aurait le désir de partir, de trouver un homme, une terre et de fonder sa propre famille. Un jour, elle ne saurait plus se contenter d’être témoin d’une vie inaccessible.

« Je t’attendrais à la maison, et toi, ne soit pas trop avide des plaisirs de la chair ce soir ! »

Avisais-je ma douce moitié, lui volant un court baiser au travers de cette barbe hivernale. J’étais consciente qu’avec les effluves de l’alcool et la présence de ces belles-de-nuit, les hommes, mariés ou non, se rinceraient l’œil sans le moindre remord. L’abandonnant à ses frivolités de jeunes loups, je m’en allais.

Le vieux sage se tenait au milieu d’innombrables lampions. Les flammes vacillantes faisaient contraste à l’ambiance plus chaleureuse du hall. Immobile, il projetait l’impression d’être mort. Son âge, inconnu, pouvait nous faire croire en son immortalité. N’était-il pas plus près des Dieux que nous tous, vivant, le serions pendant notre séjour à Midgard ? Le prophète agitait sa main, m'interpellant, m’invitant à avancer d’un ton grave et boudeur. Il savait que je viendrais. Mes pas sont lents, d’une timidité qui ne m’est pas familière, la peur dans le sang. Je resserrais mon fils contre mon poitrail, mes deux bras le soutenant, le serrant comme si ce geste empêchait cette prophétie de prendre l’un de mes fils. Derrière moi, les bruits de la fête se font de plus en plus sourds et lointains, j’accuse une hésitation avant de parler, ma bouche s’entrouvrait ne laissant passer qu’un filet d’air.

« J’ai besoin de savoir, ho grand sage… »

Commençais-je, ma voix tremblante, fixant mon iris glaciale sur ce visage difforme au traits dépourvu d’humanité. L'inquiétude me tordait la gorge, étouffait ces paroles, qui, je l'espérais, ne confirmerait pas cette prophétie funeste.

« Lequel de mes fils, me sera reprit en premier? »

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Le sage & Askerna

Ces tourments sont affreux, ces visions menaçantes sont conjurées par les dieux. L’augure n’est que l’émissaire de ces prophéties, qu’elles portent la mauvaise fortune ou l’inverse. Il attend que les questions viennent à lui, que notre curiosité nous porte au vice. Il connaissait déjà les réponses à nos suppliques.

En dépit de sa claire voyance, le vieillard parut surpris de me voir, porter en mes bras, mon fils encore vigoureux et sain. L’idée que nous aillons put déjouer le destin une fois germait dans mon esprit. Aurais-je dû mourir? Et condamner mon nourrisson du même fait? Je ne pouvais pas supporter l’idée de perdre n’importe lequel de mes petits, mais voilà qu’on venait confirmer mes craintes. L’entendement n’aurait jamais raison des instincts féroces d’une mère. Des larmes de furies roulaient sur mes joues et ma mâchoire grinçait, m’empêchant de relâcher l’air emprisonné dans mes poumons. Quand? Comment? Pourquoi lui? Cette réponse ne faisait que semer d’autres interrogations, les unes plus viscérales que les autres. Savoir m’aiderait-il à tromper les dieux, à épargner la vie, encore fragile, de mon nouveau-né? Inconsciemment, je le surprotégeais, supportant d’une ferme étreinte son corps frêle, emmailloté dans ses langes et bercé au rythme de ma respiration. Pouvais-je bêtement me convaincre d’avoir la moindre emprise sur son destin? N’avais-je pas formé chacune de ces phalanges, n’avais-je pas créé cet enfant, n’étais-je pas celle, qui encore hier, lui donnait la vie? Je me renfrognais, dans ma douleur et ma colère, incapable d’accepter cette providence. Son existence ne pouvait pas se limiter à si peu… alors, je chassais l'inévitable et me forçait à ne pas céder à la panique, laissant une autre question venir à mes lèvres.

« Et mon mari, est-il aussi en danger? »

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Le sage & Askerna

Les ossements s’entrechoquent au creux de cette paume abimée, ils s’agitent au rythme de ces vieilles jointures. Leurs cliquetis sont hypnotisant, impossible de savoir ce qu’ils essaient de nous dire. Les dieux communiquent à travers d’eux, laisse transparaitre quelques bribes du dessein qu’ils ont pour nous, simple humain. Mon œil l’examine et les mots venant d’Asgard viennent enfin à nous. Le vent porte des nouvelles plus légères, malgré la fougue de mon époux et les représailles du jarl, les dieux l’accompagnent. Mon cœur s’en fait momentanément plus léger mais les lamentations de Hvitserk ne tardent pas à me rappeler ce qu’on lui réserve. Alors, une dernière question me vint en tête.

« Quand? Quand mon fils devra rejoindre les dieux?»

C'est de la folie, que de croire que savoir pourrait m'aider à le sauver. N'empêche, je ne peux pas me faire à l'idée de ne pas poser la question. Plus j'aurais de détail, plus j'osais croire que j'avais la chance de déjouer ce destin tragique.

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Le sage & Askerna

L’impatience du prophète devenait palpable. Ses paroles se firent arrogantes, caustiques. Elles se veulent dissuasives. Elle m’avertit, mais ne parvient pas à me convaincre. Si les dieux bénissent mon mari, pourquoi déciderait-il de lui retirer notre fils? Devions-nous payer le prix de cette protection qu’il lui accordait? Odinn voyait-il mon enfant comme un sacrifice? Une âme jeune dépourvue de toute perversion en échange de quoi? Je ne pouvais m’empêcher de penser que les ambitions de Tyldr lui couteraient cher, mais devions-nous vraiment payer ce prix? Déjà, n’avais-je pas donné suffisamment de sang pour ce petit? Je voulais changer sa destinée. La volonté divine ne raisonnerait pas cet instinct rugissant. Nul n’arrache son ourson à sa mère sans provoquer sa rage. J’accuse les adages comme des lames tranchantes d’un ennemi, usant d’un bouclier pour parer l’assaut. Mon corps se crispe sous le choc, mes dents crissent, ma mâchoire tremble et mon ventre bouillonne. Les larmes se creusent un chemin sur mes joues, mais je les chasse, d’une main et d’un geste sec. D’autres questions se tissent autour de ces réponses élusives et attisent ma hargne.

L’homme, mi-humain, mi-chose, me présentait sa main, un dernier geste, me forçant à comprendre que pour ce soir, ma curiosité ne serait pas davantage comblée. Mes lèvres se rebutent dans le dédain, puis, solennellement, ma bouche vient embrasser cette paume ouverte vers le ciel. Ma langue se bute au goût salin de cette vieille peau cornée. Je m’arrachais à lui, plus rapidement que jamais, sans demander mon reste. L’amertume me tord la gorge et si je croyais que cette rencontre m’aiderait à y voir plus clair, je réalisais que c’était tout le contraire.

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